Reportage

Revendeur de journaux : Cauchemar d’un métier passionnant

Pour celui qui ne le sait pas, le métier de revendeur de journaux serait,de nos jours, parmi les métiers les moins contraignants. Bien au contraire ! Nous avons fait un tour dans deux kiosques à journaux au quartier de Darsalam (Bamako) où, auprès de revendeurs attitrés nous avons tenté de mieux cerner les réalités d’un travail passionnant


A quelques mètres du hangar, l’œil du passant est immédiatement séduit par les titres des « unes » des journaux qui froufroutent sur une corde à l’entrée. À l’intérieur, des tas des bouquins et des livrets sont étalés sur le banc. D’autres sont dispersés à même le sol. On y trouve des magazines, des hebdomadaires et des quotidiens, qui arborent des images et des écritures relatant, dans différents genres, aussi bien l’actualité nationale qu’internationale du jour, de la semaine et du mois que des événements reculés. Pendant que deux adultes, un militaire et un civil, – visiblement des clients – promènent le regard sur deux nouveaux numéros, Yacouba Ballo dépouille d’autres dans un kiosque plein à craquer. Au bout d’un instant, les voici les 6 exemplaires du « Confident ». En raison de 300 FCFA l’un, un autre acheteur lui remet 1800 FCFA et disparait aussitôt avec ses papiers.

Un lectorat vieillissant et restreint

« Ce deuxième achat fait au total 10 exemplaires du même journal vendus à cet homme en une matinée », retroque notre hôte en guise de réponse à notre question portant sur l’affluence de la clientèle. Cependant, l’acheteur serait, selon notre revendeur, probablement envoyé par un politique, car « en cette période électorale, on parle plus politique que n’importe quel autre sujet ; raison pour laquelle les politiques s’intéressent de plus en plus aux journaux », ajoute-t-il.
A partir de là, notre interlocuteur explique que l’affluence de la clientèle n’est pas toujours régulière. Elle dépendrait notamment des périodes et des circonstances particulières comme celles électorales, celles des remaniements ministériels ou encore des faits insolites. Toutefois, « je revends au minimum 30 journaux chaque lundi, qu’il y ait ces périodes ou pas », précise M. Ballo.
Tout en soulignant le manque d’affluence, M. Ballo mentionne également un lectorat restreint. « Seules les personnes âgées de 40 ans et plus viennent, enchaîne-t-il, régulièrement acheter le journal. Et celles-ci sont particulièrement des politiques, des hommes d’affaires, et des bureaucrates ». Parlant des difficultés auxquelles les revendeurs font face, celui qui a plus de 20 ans d’expérience dans le métier n’hésite pas de souligner un parcours de combattant. « Chaque matin, je me lève à 5 h pour parcourir le long trajet qui sépare le quartier périphérique de Kabala (où il habite) du centre-ville (où les revendeurs achètent les journaux) à moto. J’arrive enfin à Darsalam (où il travaille) avant 7 h pour que les clients lisent les nouveaux numéros très tôt ». Hélas ! cette ponctualité est aussi entachée de l’inquiétude engendrée par l’insécurité urbaine. « Beaucoup de mes collègues croisent des délinquants à l’aube », déplore-il, avant de poursuivre : « l’un d’entre eux, qui a heureusement survécu à ses blessures, a l’habitude de se faire agresser, à coups de machettes, par des braqueurs qui lui ont finalement dépossédé de sa moto ».

Difficile mais aussi…

Malgré ces difficultés, notre interlocuteur, la quarantaine révolue, est heureux de ce travail dont il aurait bénéficié plus d’un avantage. En dehors du revenu économique, « ceux d’entre nous qui savent lire et écrire se cultivent davantage. Et les revendeurs, comme moi, dont cette culture fait défaut, parviennent à tisser des bonnes relations humaines avec des clients qui sont souvent des personnalités publiques », conclut-il, en tout sourire.
Ousmane Kanssaye en est justement un bel exemple. Sous une minuscule ombre qui évite mal les rayons du midi accablants, il nous reçoit, assis à côté de deux hommes venus probablement causer avec lui, autour du thé.
Depuis notre arrivée, il y a quelques minutes de cela, aucun acheteur ne s’est jusqu’ici révélé à côté du kiosque. « En réalité, depuis 2013 (sa première année dans la revente des journaux), je ne bénéficie pas assez de la revente, mais profite, en revanche, de l’aide des personnes avec qui j’ai tissé des très bonnes relations humaines au fil des années. Et c’est grâce à ces personnes, qui m’aident à subvenir à mes besoins, que j’éprouve vraiment de la passion pour ce métier », explique-t-il, d’un air satisfait. Si nos deux hôtes ne sont manifestement pas bien nantis matériellement, leur physionomie tranche bien avec l’adage selon lequel il n’y a pas de sot métier. Contre vents et marées, Ballo, Kanssaye et bien d’autres revendeurs qui parsèment les rues et ruelles de la capitale malienne arrivent à trouver de la passion dans ce gagne-pain dont les clients ne cessent de se faire de plus en plus rares. Et cela, en plein âge d’or des NTICs, où les sites internet et surtout les réseaux sociaux ont tendance à prendre le dessus dans le monde de l’information. Bien que la presse écrite semble immortelle devant la radio, la télévision et l’internet, n’est-il pas temps de s’interroger enfin : dans une ère où le numérique rythme plus que jamais dans l’univers médiatique, que réserve l’avenir au métier de revendeur de journaux ?
A la question de savoir si le métier nourrit bien son homme, les regards d’un doyen de la profession scrutent l’horizon, comme pour dire que le temps n’est plus où un revendeur écoule en une seule journée 1000 exemplaires d’un seul titre. Bon an, mal an, nombreux sont ceux qui tirent leurs marrons du feu ; le système d’abonnement des services est passé par là.

Yelihebdo

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